La Route du Vin 2022 : de Félines à Vingrau… en passant par Carcassonne (épisode 5)

      Suite à notre déjeuner à Aignes (voir épisode 4) et après avoir remercié Raymond Miquel qui nous a fait découvrir cette jolie table, nous partons cap à l’ouest, au cœur de la région minervoise, encore en terres héraultaises pour quelques kilomètres.

Tandis que mon compère de voyage a pris le volant, il me demande de lui faire un état des lieux sur cette appellation qu’il ne connait pas très bien.
      « – Et bien mon cher », dis-je, « Il y a beaucoup à dire sur le vignoble du Minervois qui fut fondé par, devinez qui… les romains. plus tard, ce sont les moines bénédictins qui le mirent en valeur, dès le VIIIe siècle à la Livinière (Cella Vinaria). Le Minervois est une sorte de rectangle entre Carcassonne, Béziers et Narbonne, sur un plateau légèrement basculé vers le sud. Savez-vous qu’il pourrait être considéré comme un résumé du Languedoc à lui tout seul. Les influences climatiques sont diverses, méditerranéenne bien sûr avec la proximité de Narbonne, cévenole au nord par les piémonts de la montagne noire et même atlantique dans sa partie Ouest. L’ensemble est arrosé par quatre cours d’eau, la Cesse, l’Argendouble (au nom assez curieux), l’Ognon et l’Aude, ce dernier marquant grosso modo, la frontière avec les Corbières au sud. La zone est également bien ventée par le cers et la tramontane qui rafraîchissent et sèchent les vignes après les pluies. Oui, il y a de l’eau ici, le vent humide du sud venant de la mer, remonte et apporte les nuages qui viennent crever sur les coteaux de garrigues primaires des derniers balcons de l’Aude.
      – Et pour ce qui est des sols ? me demande Ludovic,
      – Alors là, cher ami, c’est un festival !  »
Posant alors le livre de Chauvet sur mes genoux, je feuillette l’ouvrage pour reprendre ses mots :  » En gros le minervois est un gigantesque escalier de gneiss, schistes, micaschistes, puis de calcaires, de terrasses de lignites ; enfin des mamelons alluvionnaires se fondant littéralement dans la plaine argilo-calcaire de l’Aude… « (1).

      On a compris, vu la diversité des terroirs et leur caractère marqué, il n’y a pas un type de vin en minervois, mais de nombreuses versions, différentes, personnelles, uniques, comme on en trouve à profusion dans le vignoble qui nous intéresse, celui qui s’étend du Rhône à la frontière espagnole.

 

     Le temps nous manque, nous ne ferons pas étape à Minerve et pourtant…  Il y a beaucoup à raconter sur cette cité historique, reconnue depuis la haute antiquité par les écrivains romains.

Illustration de Bernard Lignon (page 108 de « La Route du Vin »)

        Mais ce sont les terribles évènements de la croisade des albigeois qui viennent à l’esprit et le siège de la cité en juin 1210 par le catholique Simon de Montfort. Ce chef de guerre avait la passion de la poliorcétique, c’est-à-dire de l’art d’assiéger les villes. Lors de cette guerre de religion sans merci, il en dressa partout le plus souvent avec réussite : Carcassonne, Lavaur, Béziers, Castelnaudary, Toulouse… C’était aussi un fou de machines de guerre, trébuchets et autres catapultes. il utilisait aussi ces genres de tanks des temps anciens qu’on appelait alors une « gate ». Ces véritables forteresses roulantes « …pontées, ferrées, couvertes de peaux fraîches contre les tisons enflammés, armées de pierriers, d’un bélier monstrueux… »(1) faisaient merveilles devant les villes souvent démunies face à un tel concentré de violence.

       Le 15 juin, devant Minerve quasi inaccessible, Montfort mis en ligne six de ces formidables (2) machines dont l’une était nommée « la Bible » et une autre la « malvoisine »  (mauvaise voisine). Mais c’est par la soif qu’il eut raison des assiégés privés de leur dernier puit, pour un siège qui dura seulement 5 semaines. Les « Parfaits cathares » de Minerve durent se rendre et choisir entre abjurer leur foi ou être brûlés vifs. Mis à part trois d’entre eux, tous furent condamnés sur le premier bûcher de la croisade.

(1) Maurice Chauvet (page 101 et 109 de « La Route du Vin )

(2) « Formidable » est ici à prendre dans le sens littéraire : « qui inspire la peur, l’effroi, qui est dangereux de nature… »

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        Pendant que je puise dans le livre de Chauvet toutes ces studieuses informations, nous traversons Olonzac puis Pépieux, Siran, La Livinière et nous voici à Félines-Minervois…

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Domaine  Borie de Maurel

        On le surnomme le « sorcier de Félines » ! À la limite ouest de l’Hérault, Michel Escande aidé de ses fils, œuvre pour le meilleur au domaine Borie de Maurel.
      Dans la caillasse, la syrah y est à son aise, le mourvèdre et le grenache aiment les fraîcheurs nocturnes du climat minervois. Bref, un terroir idéal, aux cépages qualitatifs s’ajoutent des hommes courageux. Tout est réuni pour que les vins soient magiques. Les rouges nous enchantent, puissants, aromatiques aux tanins soyeux et l’on se laisse facilement envouter par les blancs de ce diable d’homme !

      Toutes affaires cessantes, une visite à Félines s’impose.

Domaine Borie de Maurel à Félines-Minervois – 04 68 91 68 58

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       De Félines nous filons vers Carcassonne. Sur le chemin nous faisons halte à Badens pour rencontrer un personnage des plus attachant !

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Domaine Cros

      « Rugby, cassoulet, anciens cépages et parler vrai ! », tel est le credo de Pierre Cros (prononcer « Cross »), vignerons à Badens près de Carcassonne. Pour l’ordre de préférence, il faudra lui demander. Cependant je pense que sa passion pour les vieilles vignes et son penchant à ne pas employer la langue de bois sont pour lui comme une priorité.
         Comme dans d’autres régions de France, celles qui ont vu durant les dernières décennies un essor qualitatif important de leurs vins, le Languedoc est un terreau de vignerons originaux, inventifs et innovants. Certains sont dans la modernité technologique, d’autres dans le marketing « décoiffant », d’autres dans l’approche respectueuse de l’environnement par une culture biologique et d’autres encore par une recherche des traditions locales oubliées, gommées par la vague du progrès au milieu du XXe siècle. Pierre Cros est de ceux-là et se situe plutôt dans la dernière de ces catégories.
       Au Domaine Cros, on n’est pas vigneron de père en fils (ces parents étaient boulangers au village). Pierre Cros n’a pas étudié l’œnologie à l’école, il n’a pas fait non plus de stages chez des vignerons-stars, mais a appris les gestes simples de la culture de la vigne avec des parents et amis du village. Il ne laboure pas au cheval, il n’utilise pas de préparation dynamisée, de cornes de vache et de tisanes pour soigner ses plants, Il n’a pas le regard fixé vers la lune et les cosmos… Il observe et respecte juste l’héritage laissée par les anciens pour comprendre le terroir et en exprimer le meilleur !

         Fier de ses 25 hectares de vignes disséminés dans les pinèdes garrigues et olivettes, il a osé remettre en valeur des variétés anciennes qui font la richesse de notre patrimoine ampélographique.  Le rivairenc, l’aramon, le morastel, le piquepoul noir, l’alicante et bien sûr le carignan (noir et blanc), ont trouvé grâce à ses yeux. De ces vieilles parcelles dont certaines sont plus que centenaires, il tire une cuvée qu’il est impératif de se procurer. « Les Mal Aimés », est un rouge délicieusement gourmand, souple, aux notes grillées et épicées. Un vin qui roule les « r » avec douceur. (Vin de France -10.50 €)

        Pierre Cros n’en a pas pour autant oublié les cépages  autorisés en Minervois et revendique même la typicité de cette belle appellation dans ses cuvées « Tradition », « Le Barthas », « Le Clos » … Sur les pentes de la montagne noire, la syrah et le grenache cultivés en terrasse donnent dans la cuvée « Les Costes », un superbe nectar, noir comme un taureau brave, aux notes sauvages de fruits et d’épices, vigoureux et débordant d’énergie! (AOP Minervois – 33 €).
     Depuis peu, et parce que ce vigneron hors norme vit sa passion poussée par le désir d’originalité et de liberté, il expérimente sur une parcelle de grés dur, des cépages qui font la renommée de grandes appellations du monde. Dans sa cuvée « Les Rocs », il réunit le pinot noir bourguignon, le nebbiolo du Barolo piémontais, le touriga nacional de la vallée du Douro… excusez du peu ! Ça donne un grand vin unique, un Dom Juan admirable par son élégance, sa fraîcheur, son discours de grand séducteur et sa belle longueur en bouche (Vin de France – 13 €)…
       Enfin n’oublions pas la passion du Rugby qui anime toujours Pierre Cros. Outre sa collection de maillots accroché aux murs, il a gardé contact avec ses anciens camarades et se retrouvent souvent dans son grand et beau caveau de dégustation (ancienne salle des fêtes du village). On ne compte plus les cassoulets, civets de sanglier et autres cochons à la broche… Fêtes joyeuses et conviviales qui pourraient s’apparenter aux festins de dernière page des albums d’Astérix !

     À Badens, la gastronomie et le vin joue dans le même championnat, celui de l’amitié, du partage et de la joie de goûter le moment présent !

Domaine Pierre Cros à Badens  –  06 74 47 25 80

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      Le jour touche à sa fin nous quittons la tranquille  bourgade pour aller saluer les remparts, tourelles, échauguettes et autres barbacanes de la cité de Carcassonne. La cité médiévale avait été volontairement oubliée par l’équipage de Maurice Chauvet, certainement qu’à l’époque elle n’avait pas le lustre qu’on lui connaît de nos jours. Faut dire qu’elle avait été occupée par les allemands qui y ont fait quelques dégâts en l’utilisant comme réserve de munitions et d’explosifs !
     Aujourd’hui, la visite des lieux est absolument incontournable pour qui passe dans la région et s’intéresse un tant soit peu à l’histoire du Languedoc magnifiquement représenté par ce château moyenâgeux.
Incontournable lui aussi… Le cassoulet que nous allons déguster !

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Restaurant Comte Roger

         Si vous cherchez « Monsieur Cassoulet », c’est ici que vous le trouverez. Pierre Mesa dirige en plein cœur de la cité, le restaurant Comte Roger. Véritable institution gastronomique, sous la terrasse ombragée ou dans l’élégante salle aux tons naturels, on y déguste LE Cassoulet de Carcassonne  (à ne pas confondre avec celui de Toulouse ou de Castelnaudary).  Initialement les cuisiniers de Carcassonne rajoutaient des cuisses et filets de perdrix rouges, c’était la différence avec les recettes des deux autres villes.  Personnellement je n’en ai jamais goûté avec ce gibier rare et depuis longtemps protégé, il  ne peut plus être utilisé en cuisine. C’est le canard qui le remplace et ce avec bonheur et sans regret, surtout chez Pierre Mesa qui propose en accompagnement le Minervois du Domaine Cros et là… On plane au-dessus des nuages !

Restaurant Comte Roger dans la cité Carcassonne – 04 68 11 93 40

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       Une nuit de repos nous fut salutaire dans la douce torpeur de mai, et nous partons de bonne heure vers la région des Corbières, la plus étendue des appellations du Languedoc avec plus de 13000 hectares.
       Nous stoppons la voiture à Lagrasse. Bonne idée que cette étape qui nous réjouit le cœur tant ce village est charmant, superbement rénové.

Le vieux pont de Lagrasse sur l’Orbieu

        Déserté des touristes à cette époque, c’est un plaisir que de se balader dans les ruelles, le long de l’Orbieu  pour accéder à la célèbre abbaye Sainte-Marie, On dit que c’est la première qui fut fondée en Languedoc en l’an 800 par Charlemagne en personne.
        Pour celles et ceux qui aiment les randonnées il y en a une qui permet de prendre de la hauteur pour admirer le village et son abbaye, au lieu-dit « les fesses de Charlemagne » !  Cette curiosité baignée d’humour populaire, vient d’une légende sans doute créée de toute pièce, qui raconte que passant par là son cheval fit un faux pas, ce qui projeta Charlemagne au sol sur lequel il retomba sur ses impériales fesses.

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Un pique-nique au bord de la Berre

        Lors de son périple en 1949,  Maurice Chauvet et son comparse s’arrêtent dans le village de Cascatel au bord d’une rivière pour y faire un pique-nique improvisé. Nous faisons de même.
         Le cours d’eau, c’est la Berre, venant des Corbières, il traverse le village et va se jeter dans l’étang de Bages. Ils font l’acquisition d’un pâté en croute, un fromage de chèvre, quelques fruits et une bouteille de Corbières de Cascatel…

72 ans plus tard, il est toujours possible de réaliser ce moment charmant, paisible et gourmand !

Où trouver…
– Le lieu : dans le village de Cascatel, des bancs sont installés sous les arbres face à la rivière, calme et fraîcheur !

– Le casse-croute : Pâté en croute et fromage :  à la charcuterie et rayon frais du magasin SPAR à Saint-Laurent de la Cabrerisse, 04 68 44 09 32

– La bouteille : Corbières 2019 à la cave Les Maîtres Vignerons de Cascatel – 04 68 45 91 74

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Château de Nouvelles

        Propriétaire du Château de Nouvelles depuis 1834, la famille Fort connait le terroir et en tire le meilleur parti. Les vignes du domaine s’étendent d’un coté sur les calcaires pour faire des vins bouquetés et puissants, de l’autre, sur les schistes pour des nectars tout en finesse et élégance.

        Maurice Chauvet ne s’était pas trompé et s’y était arrêté en 1949 reçu par Auguste Fort en personne. On peut toujours y faire halte, c’est le petit-fils Jean Rémy Daurat-Fort qui aime recevoir les amateurs et fait déguster ses cuvées de Corbières, Fitou et vieux Rivesaltes…

(Daniel Roche apprécie vraiment les Rancios de Nouvelles !) 

Château de Nouvelles à Tuchan – 04 68 45 40 03

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Domaine  des Chênes

        Durant toute sa carrière, Alain Razungles s’est partagé entre Montpellier où il était professeur d’œnologie et Vingrau, au domaine familial, à la limite nord du Roussillon.
        Initialement, la famille apportait les raisins à la Cave Byrrh pour y faire le célèbre Vermouth. Le terroir de Vingrau et Tautavel est fabuleux, le potentiel est énorme. Aussi, en 1985, Alain, subjugué par le potentiel qualitatif du vignoble, décide de faire revivre la cave et la réussite ne se fait pas attendre. Les vins sont demandés par les meilleurs cavistes et grands restaurants, tous les vins sont dignes d’éloges. Pour s’en convaincre, il faut goûter la merveilleuse cuvée Côtes du Roussillon blanc, « Les Magdaléniens »  ou « L’oublié », un rancio sec irrésistible.

Domaine  des Chênes à Vingrau – 04 68 29 40 21

—————–     Suite de La Route du Vin 2022 dans la page Région de Midi Libre dimanche 21 aout.

    Sixième épisode : De Saint-Paul de Fenouillet à Narbonne… en passant par Banyuls-sur-Mer.

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